L’homme est un réseau,
le plus puissant de la Nature,
car c’est un réseau pensant.
Devant l’extraordinaire développement de la génétique humaine, il est nécessaire que les généticiens s’interrogent sur l’usage du redoutable pouvoir que leur confère l’accroissement de nos connaissances.
Entre le passé qu’évoquait le Professeur MAYER et le futur que scrutera tout à l’heure Le Professeur Monod, le présent requiert en effet la mise en oeuvre des acquisitions de notre discipline.
Le bon usage de la génétique humaine doit dès lors se régler sur les données scientifiques dont nous disposons et que l’on peut classer en trois catégories :
- la connaissance probable
- la connaissance immédiate
- et la connaissance efficace
(estimations à valeurs probables selon le facteur temps)
La connaissance probable
De beaucoup la plus ancienne puisqu’elle repose sur les lois élémentaires de la transmission de la vie, cette connaissance consiste à prévoir, les risques d’apparition d’une maladie chez un descendant d’un couple donné.
Si deux parents sont reconnus hétérozygotes pour un gène récessif défavorable, on sait immédiatement qu’un de leurs enfants sur quatre sera frappé de la maladie. De même la détection d’une translocation chez des parents permettra de prévoir le risque d’une monosomie ou d’une trisomie et la prise en considération d’autres éléments tels que le sexe du parent porteur du remaniement, l’âge de la mère, ou même les contingences physiologiques au moment de la fécondation permettront de préciser les risques. Dans des cas extrêmes, comme la détection d’une translocation 21-21 par la méthode Dutrillaux on pourra même savoir que la probabilité d’anomalie s’élèvera à cent pour cent puisque les deux seules éventualités possibles seraient alors une trisomie 21 ou une monosomie incompatible avec le développement embryonnaire.
Dans tous les cas quelques soient la précision du pronostic, la connaissance n’est que probable puisque l’événement prévu, l’apparition d’un nouvel être humain, n’est pas encore réalisé.
L’usage de cette connaissance se résume alors en une décision prise par les parents devant un risque connu.
Une probabilité de cent pour cent sera généralement considérée comme une simple curiosité s’il s’agit d’une particularité génétique comme la couleur rousse des cheveux par exemple, on pourra alors puisque même relativement faible conduire les éventuels parents à renoncer à toute procréation s’il s’agit d’une maladie très grave.
Cet usage prudent d’une connaissance probable, essence même du conseil génétique a été pendant de nombreuses années la seule application de la génétique humaine.
La connaissance immédiate
Si l’on pouvait déchiffrer l’information génétique contenue dans l’œuf fécondé le destin génétique du nouvel être humain dont la formation est en cours serait exactement connu.
Cette connaissance immédiate est cependant inaccessible car, par une ancienne analogie avec le principe d’incertitude de la physique moderne, l’analyse d’une structure génétique élémentaire implique sa destruction ou tout au moins sa modification. L’analyse chromosomique par exemple ne peut se faire que sur une cellule préalablement traitée et fixée et l’analyse chimique, la plus simple possible, nécessiterait une quantité énorme de cellules.
Par contre une connaissance médicale peut être obtenue relativement tôt dans l’analyse des cellules qui ne participent pas directement à l’élaboration de l’enfant…Partir des cellules flottant dans le liquide amniotique prélevé par amniocentèse on peut déceler les anomalies constitutionnelles chromosomiques aux environs du quatrième mois de la vie in utéro.
De même quelques affections métaboliques précises peuvent être dépistées avec une très grande certitude et pour le diagnostic un nombre important d’autres affections, des progrès techniques prochains sont extrêmement probables.
Du point de vue génétique cette connaissance précoce ne diffère en rien de celle obtenue par un examen après la naissance ; et cela est si vrai qu’on infère avec la plus juste raison que si le caryotype décelé par amniocentèse révèle une trisomie 21, l’enfant à naître sera atteint de cette maladie, ou, plus exactement, en est déjà atteint.
Par contre l’usage que certains proposent de cette connaissance génétique est fort différent selon qu’elle est relativement tardive, à la naissance.
Si l’on exclut du domaine scientifique les crimes dont le professeur Meyer nous a rappelé la triste réalité historique, personne ne propose de tuer un nouveau né souffrant d’une maladie génétique. Par contre certains ne verraient et ne voient semble t-il aucune objection à éliminer le même être, porteur de la même constitution génétique, si celle-ci doit être décelée vers le 4ème mois de la vie ou un peu plus tard.
Seul un jugement de valeur sur le degré de dignité de l’être humain en cause peut motiver cette distinction selon l’âge et une opinion de ce genre ne relève évidemment pas du traitement scientifique.
Plus intéressante peut-être est la raison avancée de cette sélection distinctive, par exemple le crétinisme thyroïdien, le diabète juvénile, la phénylcetomine, ou la maladie de Wilson ne sont inscrites sur les listes bien que leur diagnostic in utero puisse être envisagée et que leurs conséquences soient redoutables.
Pourquoi ? parce que l’on sait les guérir.
C’est donc par insuffisance de la thérapeutique que la sélection destructive peut être discutée ; ce qui revient à proposer aux médecins d’éliminer les malades qui sont encore impuissants à guérir.
Cette constatation nous amène à l’usage du troisième type de connaissance, la connaissance efficace, celle qui permet de lutter contre la maladie et non plus contre les malades.
La connaissance efficace
C’est devant le malade que la génétique peut se révéler réellement humaine et se doit d’apporter au patient tous les secours de nos connaissances. Mais au lieu de faire un inventaire des succès de la médecine dans le traitement des affections génétiques, il serait juste de mesurer pleinement notre insupportable insuffisance qui est justement l’argument de la sélection destructive.
Certes les malformations congénitales et les maladies délabrantes sont des fardeaux terribles, mais en est-il de plus lourd que celui de la plus inhumaine des maladies, la plus fréquente hélas, celle qui frappe l’homme dans sa plus humaine qualité, celle qui opprime sa faculté la plus élevée, celle qui est le motif des plus terribles rejets, la débilité de l’intelligence ?
Aussi devant cette mutilation de l’esprit devons-nous discuter si la connaissance efficace est encore possible, et trancher finalement d’une éventuelle faillite de la science. Car il faut bien reconnaître que devant la débilité mentale, mise à part quelques succès éclatants la médecine est généralement impuissante, et il est nécessaire d’avouer, quelque cruel et pénible qu’un tel aveu puisse être, que les biologistes paraissent assez peu se soucier de ceux qui par naissance ne sont pas comme les autres, et n’arriveront même parfois peut être jamais à comprendre la nature de leur affection.
Et pour finir, je crois que le bon usage de la génétique humaine se résume en une simple phrase.
Aussi loin d’utiliser une connaissance précoce pour exécuter des jugements prématurés que les progrès scientifiques condamneraient demain, loin de fonder une sélection destructive sur une ignorance heureusement transitoire, le bon usage de la Génétique humaine, devant l’immensité de la tâche et la formidable nécessité de réussir, se résume en une certitude :