Homélie de Mgr Fort

Homélie prononcée par Mgr Fort, évêque d’Orléans
3 avril 2003 à Saint-Séverin à Paris

Chers Frères et Soeurs,

Présider la célébration de l’Eucharistie pour le neuvième anniversaire du départ pour la Maison du Père du Professeur Jérôme Lejeune est pour moi un honneur et un bonheur.

Un honneur, parce que je n’ai pas été de ceux qui ont personnellement connu le Professeur Jérôme Lejeune et qui sauraient, bien mieux que moi, évoquer son regard de lumière, son sourire de paisible et courageuse espérance.

Je vous remercie, Madame Lejeune, et avec vous tous les membres de votre famille, et tous les collaborateurs de votre époux, de m’avoir invité à célébrer la Messe qui nous réunit ce soir. Cette invitation m’honore puisqu’elle m’associe de façon privilégiée aux nombreux amis du Professeur Jérôme Lejeune. Or cette amitié n’est pas seulement faite d’admiration et d’affectueuse estime, elle est animée d’une immense reconnaissance pour celui dont les travaux et l’exemple ont ouvert, pour un nombre sans cesse grandissant d’enfants et de familles, des voies nouvelles d’espérance et de courage, de générosité et de joie.

Mais la Messe célébrée ce soir est pour moi bien plus qu’un honneur, elle est un bonheur que je partage avec vous, chers Frères et Sœurs, et avec tous ceux qui nous sont unis dans la foi et la prière. Un bonheur, car la célébration liturgique du Sacrifice du Christ restaure l’alliance du ciel et de la terre et rattache le moment de grâce que nous vivons ensemble à l’éternelle et souveraine charité de Dieu. Le Christ, qui a brisé pour nous les portes de la mort, a aussi rompu l’irréversible écoulement du temps de notre histoire. En la très sainte Eucharistie, la présence sacramentelle du Christ mort et ressuscité nous établit en communion spirituelle avec notre frère Jérôme Lejeune et l’immense foule de tous ceux qui nous ont précédés dans la foi jusqu’au seuil de la Maison du Père.

Pour accueillir avec vous le bonheur qui nous est offert ce soir, je me suis appliqué à contempler le Christ tel que saint Jean nous le présente dans l’Evangile qui vient d’être proclamé.

Ce qui m’impressionne le plus c’est la souveraine autorité, la patiente pédagogie, avec lesquelles le Christ parle à ceux qui récusent la vérité de son enseignement et la probité de son témoignage. Ce qui me touche, c’est son paisible courage, sa persévérance, face à l’hostilité qu’il sent grandir à l’égard de sa propre personne.

Quelle clarté, quelle fermeté, dans son argumentation pour conduire ses interlocuteurs à reconnaître qu’ils se piègent eux-mêmes, qu’ils s’enferment dans leurs erreurs et leurs égarements. Appliqués à scruter les Ecritures ils se glorifient de leur science et croient pouvoir découvrir les secrets de la vie, alors même qu’ils s’obstinent à ne pas accueillir celui en qui est manifestée et offerte la plénitude de la vie.

Contemplons le Christ, admirable pédagogue, mais méprisé et récusé, parce qu’Il enseigne que la vie de l’homme est plus qu’humaine, qu’elle est promise à l’éternité, qu’elle vient du Père et va au Père.

Cette contemplation a éveillé en moi le désir de rendre hommage au pédagogue qu’à été le Professeur Jérôme Lejeune. Me voici de nouveau bien démuni, car je ne peux que regretter de ne pas avoir été son élève. Mais puisque le Christ nous a appris à reconnaître un arbre à ses fruits, je me suis résolument tourné vers la Fondation Jérôme Lejeune. Et voici que le numéro de mars 2003 de la Lettre de la Fondation est venu magistralement répondre à ma quête. Elle m’offre, en première page, la superbe photo d’une jeune trisomique et de son petit frère. Dans les yeux de Nathan, un petit garçon de quatre ans, je retrouve la lumière du regard de Jérôme Lejeune, sur ses lèvres je reconnais son sourire, le geste d’affectueuse tendresse de Nathan à l’égard de sa soeur Anaël a la douceur des gestes du docteur Lejeune. Plus étonnant encore, ce petit enfant a pour sa soeur les mots d’encouragement et d’espérance du professeur Lejeune: «Courage, je t’apprendrai la vie. Courage, tu apprends moins vite mais tu apprends quand même ».

« Je t’apprendrai la vie ». Qu’elle est belle la postérité vivante du pédagogue de la joie de vivre, de l’éducateur du bonheur d’aider à mieux vivre ceux que l’on aime.

Mais il y a plus. Au verso de cette première page de la lettre de la Fondation se trouve une autre photo. Ils ne sont plus deux, ils sont quatre. Les parents de Nathan et d’Anaël sont là, qui nous disent: « Notre vie de famille est une aventure pleine de surprises, qui nous fait grandir ensemble sur le chemin de la vie ».

Ces mots et cette photo nous entraînent plus loin dans la découverte de la profondeur et de la fécondité de l’œuvre initiée par Jérôme Lejeune et poursuivie par la Fondation, sa grande et belle famille spirituelle. Car il y a là plus qu’une œuvre d’éducateur, il y a l’œuvre d’un édificateur.

Les prophètes de l’Ancien Testament et les Apôtres du Christ n’ont pas tellement parlé d’éducation, ils ont surtout parlé d’édification. Or, en hébreu et dans le grec qui lui correspond, c’est le même mot qui signifie construire une maison et fonder une famille. Dieu est ainsi reconnu bâtisseur et fondateur, édificateur par excellence. Tout chrétien instruit des Saintes Ecritures s’entend alors appelé à travailler avec le Christ à l’édifice de Dieu, auquel il est lui-même intégré. Car on ne s’édifie pas soi-même, on est à la fois édifié et édificateur en famille) en communauté, en Eglise.

Une telle édification n’est pas seulement une oeuvre de connaissance, elle est fondamentalement une œuvre d’amour. Je ne doute pas que notre frère Jérôme Lejeune se soit laissé intimement instruire par l’Apôtre saint Paul, qui enseigne aux chrétiens de Corinthe: « C’est entendu, nous possédons la connaissance, mais la connaissance à elle seule enfle, c’est l’amour qui édifie. Si quelqu’un s’imagine connaître quelque chose sans l’aimer, il ne connaît pas encore comme il faudrait connaître … Tout est possible, mais tout ne convient pas. Tout est possible, mais tout n’édifie pas ».

Je veux, ce soir, chers Frères et Soeurs, saluer la mémoire du Professeur Jérôme Lejeune en l’honorant du beau titre d’ « édificateur en humanité et en sainteté chrétienne ». Au coeur de la prière d’offrande et d’intercession que nous présentons pour lui à notre Père du Ciel, cet hommage d’admiration et de reconnaissance veut être aussi un témoignage de fidélité par un « oui à la vie » aussi total que le sien, un « oui à la vie » qui ne se laisse ni abuser ni intimider, un engagement au respect de la vie de tout être humain dès sa conception et jusqu’à sa mort naturelle.

Christ vainqueur des ténèbres du péché et de la mort, la lumière dont Tu rayonnes a brillé en ton serviteur Jérôme Lejeune, donne lui part à la gloire que tu reçois du Père.

Toi notre Seigneur et notre Sauveur, garde, nous fidèles à ta Parole et dociles à ton Esprit, courageux au service de la Vérité et de la Vie.

AMEN.